« Je me sers de la technique du sniper », déclarait Liu Bolin lors d'un TED talk, en 2013, à propos de sa célèbre série Invisible Man, ces photo-performances où l'artiste chinois utilise le camouflage pour se fondre dans le paysage. Artiste caméléon, Liu Bolin prend prétexte de sa propre dissimulation pour créer une tension dans l’image, tension qui appelle un commentaire, une réaction chez le regardeur.
L'arrière-plan dans ses photographies, qu’il s’agisse d’un rayon de supermarché ou d’un lieu touristique emblématique, a souvent une valeur prédatrice. « Certains diraient que je disparais dans le paysage, dit-il. Personnellement, je dirais que c'est l'environnement qui m'avale. »
Son travail, décliné tant de fois aujourd'hui, dans tant d'endroits sur la planète, est pénétré de cette idée qu'il y a au monde mille manières d'être avalé, mille façons de se trouver nié dans son individualité. C'est l’environnement urbain qui vous réduit à une ombre sur les murs de la ville ; c'est aussi la société de consommation, avec ses centres commerciaux, son tourisme de masse, son industrie du divertissement, qui menace de vous engloutir.
Parallèlement à son travail photographique, Liu Bolin continue de mener de front un travail de sculpture — médium avec lequel il a commencé — et réalise des figures humaines faites de composants électroniques, cartes mère, câbles USB. Ces travaux complètent, et en un sens éclairent, la série Invisible Man. Ils participent de la même vision d’une humanité en péril, et nous invitent à nous demander si notre espèce ne serait pas tout près de se dissoudre dans les structures technologiques, économiques et politiques de notre époque contemporaine.
La question est posée avec une certaine insistance, mais toujours de façon ouverte, non-autoritaire. Liu Bolin est un artiste de la suggestion, de l’intervention silencieuse. Il disparaît dans son travail au propre comme au figuré. Dans ses photo-performances, c'est au spectateur qu'il s'en remet pour révéler le sens, pour retrouver les contours de sa silhouette, pour faire surgir la forme humaine. Au fond, cette perpétuelle disparition est avant tout un prétexte à remettre l'Homme dans l'image. Une exhortation à le faire réapparaître.
Liu Bolin est né en 1973 dans la province de Shandong, à l’est de la Chine. Il est diplômé d’un bachelor of Fine Arts de l’Université des Beaux-Arts de Shandong, et d’un Master of Fine Arts de l'Académie Centrale des Beaux-Arts de Chine. Ses travaux sont régulièrement exposés en galerie et dans des musées à travers le monde. Il vit et travaille à Pékin.