« Je ne pouvais pas inventer une couleur qui ne soit qu’à moi, alors je me suis mis à travailler avec des matériaux dont personne ne voulait »
- Abdul Rahman Katanani
Avec cette nouvelle exposition personnelle à la galerie Danysz, la seconde depuis « Hard Core » en 2018, Abdul Rahman Katanani poursuit son exploration du monde à l’aide de ses matériaux de prédilection : tôle ondulée, fil barbelé, barils de pétrole recyclés, que l’artiste prélève à dessein dans son environnement quotidien : « J'aime utiliser des matériaux qui sont portés par des expériences humaines, je trouve que cela ajoute des valeurs et des questionnements qui nous amènent à penser et considérer les choses différemment. » Avec ces matériaux bruts, l’artiste évoque cette fois des figures d’enfants absorbés dans leurs jeux, au milieu de nuées d’oiseaux qui pourraient bien être des pigeons voyageurs. Des moments de liberté créatrice sur lesquels le commerce du pétrole projette ici comme une ombre, au sens figuré comme au sens propre.
L’artiste fait de cette figure de l’enfant joueur une allégorie de la vie elle-même, à l’instar de Nietzsche qui en parle ainsi dans le premier discours qu’il prête à son prophète Zarathoustra : « Pourquoi faut-il que le lion féroce devienne enfant ? L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement » (Ainsi parlait Zarathoustra, « Les trois métamorphoses »). Les figures d’enfants joueurs apparaissent chez Katanani dès ses premiers travaux à la fin des années 2000. Ils s’y livrent à toutes sortes de jeux, qui sont comme un inventaire inépuisable des activités auxquelles un enfant peut se livrer dans les rues : cerceau, ruban, saut à la corde, cerf-volant, course en sac, ballon, etc. Une série ouverte et encore en cours à ce jour chez l’artiste.
Pourquoi cet intérêt récurrent pour le jeu chez Katanani? Le jeu peut aussi désigner un espace, comme lorsque l'on dit qu'une porte ou une fenêtre ont « du jeu ». Le jeu est cet espace de liberté et de créativité qui permet d'appréhender le monde, les tensions qui l’organisent et les forces qui le traversent. Un endroit où réinventer et s’approprier le monde. Ces œuvres figuratives ne doivent donc pas être dissociées des autres productions de l’artiste, parfois plus abstraites et moins narratives (cercles, spirales, tapis ou vagues). Dans l’ensemble de ce travail, c’est bien le même mécanisme qui est à l’œuvre : mise en symbole et allégorie.
Nulle place dans ces compositions pour une vision nostalgique de l’enfance qui, avec notre perspective d’adulte, serait comme un paradis perdu, un âge d’or où tout était forcément plus simple et plus léger. Ces enfants joueurs ne nous éclairent pas sur un moment révolu mais sur un moment vers lequel tendre : l’enfant n’est plus ce que l’on a quitté, mais au contraire ce qu’on devrait atteindre. Une vision résolument confiante en l’avenir, déjouant tout fatalisme ou déterminisme, c’est ce à quoi nous invite ici Abdul Rahman Katanani.
Abdul Rahman Katanani est né en 1983 dans le camp de réfugiés palestiniens de Sabra, au Liban. Il est diplômé d'un Master de l'Ecole des Beaux-Arts de Beyrouth. En 2009, il est récompensé par le prix Young Artists au Salon d'Automne organisé par le Sursock Museum de Beyrouth. Son travail a été présenté dans de nombreuses institutions à travers le monde, comme la Biennale d'Abu Dhabi, le Royal College de Londres, la Fondation Boghossian à Bruxelles, la Cité internationale des arts ou encore l'Institut du Monde Arabe à Paris. Abdul Rahman Katanani est actuellement programmé dans la Saison d’art 2021 du Domaine de Chaumont-sur-Loire, pour laquelle il a réalisé une installation in situ dans le parc du Domaine. Ses œuvres sont présentes dans des collections publiques (Mathaf, Doha) et privées.