"Le noir me permet d'aller à l'essentiel," confie YZ - prononcé "eyes". L'essentiel, pour l'artiste franco-britannique, ce sont ces êtres qu’elle représente de front, à l'encre de Chine, ainsi que le contexte historique et politique auquel ils se rattachent. Descendants d'esclaves antillais, femmes-soldats d'un ancien royaume africain, figures féminines appartenant à divers groupes ethniques, revêtues de leurs plus belles parures… Ils - ou plutôt elles, la plupart du temps - sont représentés à grande échelle, sur de larges panneaux de bois, de grandes feuilles de tôle, ou bien sur les murs de la ville. Il ne s'agit pas seulement ici de redonner droit de cité à des hommes et des femmes occultés ou brutalisés par l'Histoire, mais de changer le regard que nous portons sur eux, ce qui vaut à YZ la réputation d'une artiste engagée.

 

C'est cependant un engagement qui prend des chemins peu empruntés, où la mémoire et la poésie occupent une place importante. Parfois le travail de YZ se confond avec une exploration de l'intime, comme lorsqu'elle part à la recherche de ses racines, sur les traces de son grand-père guadeloupéen.

 

Ce sont aussi des temporalités qui se croisent, et qui donnent à son travail cette aura si particulière. Ses portraits nous rappellent à des époques révolues : l'Europe des années 1900, le temps de l'esclavage et de la colonisation, l'Afrique de l'Ouest des dix-huit et dix-neuvième siècles. Tous ces aspects conjugués constituent une démarche véritablement en marge des codes usuels et dominants du street art. Dans l'univers de l'art urbain, YZ est une artiste à part.

 

Autre singularité : l'artiste a l'habitude de travailler avec des matériaux délicats, comme le papier kraft, le papier de soie marouflé, le papyrus. Le support chez YZ vient compléter l'image. Il permet d'approfondir le propos. Dans le même esprit, pour ses projets en extérieur, elle cherche à exploiter les aspérités des murs. "J'utilise la ville comme une matière," explique-t-elle, "et pas comme un lieu d'exposition." Cette attention portée à la matière, chez cette fille d'artistes sculpteurs et céramistes, ajoute encore à la puissance d'incarnation de ses portraits tracés au noir, et fait qu'ils parviennent d'autant plus à susciter chez nous l'émotion.

 

Yseult Digan, alias "YZ", est une artiste franco-britannique née en 1975. Son travail a été présenté dans des institutions majeures, comme le Centre Pompidou à Paris ou l’ArtScience Museum de Singapour. En 2017, elle est sélectionnée pour donner un nouveau visage à la Marianne figurant sur les timbres-poste, une réinterprétation qu’elle baptisera « Marianne l’engagée ». En 2019, Eurotunnel lui confie la réalisation d’une œuvre monumentale de part et d’autre de la Manche. Après avoir vécu et travaillé plusieurs années au Sénégal et en Côte d’Ivoire, elle réside aujourd’hui en France.