Alain Delorme: Murmurations

27 Janvier - 31 Mars 2018 Shanghai

Bruissements au loin, mouvements d'air : une nuée se forme et s'élève, dessinant d'élégantes arabesques dans un ciel aux reflets irisés. Les images d'Alain Delorme nous transportent par le caractère féérique de la beauté éphémère d'un vol d'oiseaux, d'une Murmuration?. La séduction initiale est cependant rapidement contrecarrée par une attention soutenue aux détails qui  révèle le double fond de ces clichés. En lieu et place des volatiles gracieux, le spectateur découvre la vraie nature de ces formes tantôt aquatiques, tantôt calligraphiques : des milliers de sacs en plastique, méticuleusement agencés par l'artiste, dont l'étreinte vient étouffer l'horizon.  Ce travail se situe au croisement de diverses cultures visuelles et héritages artistiques. Cinématographiques tout d'abord, Murmuration apparaissant comme la fusion improbable de la vision de ce sac qui virevolte de manière quasi hypnotique dans American Beauty (1999) et du grand classique d'Hitchcock de 1963, The Birds. L'un et l'autre jouent du retournement du point de vue : le maître de l'angoisse fonde son intrigue sur l'agressivité inexpliquée d'animaux a priori paisibles, quand la séquence saisie par le vidéaste amateur semble révéler la délicatesse de l'informe.  
 
De manière plus générale, bien que ces images soient élaborées à l'aide des outils numériques, la démarche, de l'ordre de l'installation, fait écho de manière plus lointaine aux oeuvres du Land Art qui investissent physiquement les espaces naturels pour mieux questionner la fragilité de leur devenir. Enfin on retrouve l'accumulation chère aux Nouveaux Réalistes et présente dans les précédents travaux d'Alain Delorme, soulignant par l'absurde les dérives de la société contemporaine.  
 
La critique prend des consonances cette fois planétaires, de par le choix d?un artefact aussi ordinaire qu'universel. Le contexte n'apparaît que sous forme indicielle, sans localisation géographique explicite. Les fières silhouettes de notre société industrielle, cheminée d'usine et lignes à haute tension, se détachent en ombres chinoises sur un ciel dont la pénombre crépusculaire semble annoncer la fin d'une ère. Car la menace que constitue le sac plastique est véritablement mondiale: il envahit les abords des villes, jonche les espaces naturels, tapisse les fonds marins et colonise les déserts.  Par le jeu du trompe loeil, Alain Delorme se met à distance de toute position militante pour privilégier la prise de conscience. Il détoure, assemble, agence les éléments d'une réalité aussi fictionnelle que probable, dans une vision projective de nos couchers de soleil de demain. Levant les yeux au ciel, on pourrait ici reprendre et détourner le titre de la célèbre exposition de photographie des New Topographics de 1975 qui marque les prémisses de l'interrogation du devenir de la société industrielle, Photographs of a Man-Altered Landscape,  pour parler d'un Man-Altered sky'scape. Ou quand l'artiste vient polluer nos rêves?

 

Raphaële Bertho, septembre 2013.